Errance

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La vérité, c'est que je ne sais pas ce que je fais ici. Je ne comprends pas pourquoi je fais tout ça, tout ce que je sais c'est que ça me fatigue. Je suis fatiguée de tant de cinéma, de poésie ratée, de changement. Fatiguée de ne pas pouvoir me consacrer à ma vie, ma petite vie à moi, tranquille. Je dois m'épuiser à faire ce charabia auquel je ne comprends pas le moindre mot. Tout ça pour gagner ma misérable vie, dans laquelle tout est argent, monnaie, fric, flooze, blé, thune. J'en peux plus de ces mots, ces pustules dégoulinants me débectent. Si seulement je pouvais partir.


Me tirer loin d'ici, pour ne plus subir cette pression qui ne rime à rien, si ce n'est à abrutir le peuple. Fatiguée. Voilà. Lasse. Dormir. Si seulement je pouvais dormir. Mais non, je dois garder la tête haute, pour mon honneur. Je dois faire preuve de courage et de volonté. Sans ça, je ne serai rien dans ce monde. La vie nous traite comme des virus, qui doivent combattre pour subsister, lutter contre les médicaments pour se faire une place, rien qu'une toute petite place pour avoir un répit de quelque instant pendant lequel je pourrai au moins espérer parvenir à quelque chose. Tant pis si ce n'est pas le cas, j'y aurai au moins cru. Good luck ! Tu parles... Tu parles d'une chance, parmi ces vautours qui nous épient, qui fliquent le moindre de nos pas, la moindre de nos inspirations. Qui nous volent notre imagination, nos pensées pour n'en faire que de la pâtée pour chat. Ou des farines animales qui nourriront les bœufs que nous avalerons, sans le moindre scrupule. La vie est ainsi faite, il n'y a pas de place pour les faibles, pas de place pour les ignorants, ni pour les pauvres. Et quand on ose ouvrir la bouche, on se fait frapper la tête pour la refermer au plus vite. Ça dérange. Dès que l'on ose penser, on est dangereux. Regardons la télé alors, ça ira mieux demain.
Que de rêves endormis, que d'espoirs envolés ! Nul ne peut se vanter de croire encore à ses rêves. Même l'espoir nous est interdit. Alors, se donner du mal ? Mais pour quoi faire ? Pour le voir s'évaporer sans qu'il n'aie servi à rien ?
Je n'ai pas envie de finir paralysée de l'esprit, je préfère continuer à regarder le vent souffler, les fleurs fâner, le soleil se lever, les feuilles s'envoler. Je préfère écouter l'eau du ruisseau, le crépitement du bois qui se consume. Je préfère sentir le parfum du blé bronzant au soleil, celui des fleurs sauvages ou de la mer. Je préfère caresser un arbre rugueux, sentir l'effleurement de la pluie sur mes cheveux, l'herbe nouvelle, tendre et fraîche. Enfin, je préfère encore goûter le chocolat fondant, les noisettes tombées de l'arbre ou l'acide des pommes du verger d'à côté. Merci bien pour l'émission, je ne l'ai pas retenue, ni même écoutée ou regardée. À quoi bon ? Tu m'aurais dit quoi ? Que le pays va mal, que la guerre est partout, que les gens meurent, et qu'on n'y peut rien ? Ainsi soit-il, si ça t'arrange d'y croire. Mais ne compte pas sur moi. Quand tu pourras me parler des végétaux ou des minéraux, et m'apprendre des choses à leur sujet, tu m'intéresseras. Car j'en ai encore des choses à apprendre. J'aimerais tellement qu'elles soient là, disponibles, palpables. Mais il faut mériter son savoir. La vie est trop compliquée, trop bien faite pour que tout nous soit évident. Et imagine si c'était le cas, l'ennui !
Je ne suis pas de ceux qui attendent des autres. Je préfère chercher, creuser, trouver, comprendre. Et apprendre. Mais l'essentiel n'est pas dans les livres. Il est partout autour de toi, mais tu ne le vois pas. Parce qu'on t'interdit de le voir. Ce n'est pas juste. Mais c'est ainsi.

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